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13 juin 2025

“L’âge de départ doit être relevé”.
Alors que le conclave sur les retraites patine, le Comité d’Orientation des Retraites (COR) jette un pavé dans la mare. Mais peut-il en être autrement ?

Le constat est simple, les retraites pèsent trop lourd dans les prélèvements et les dépenses. Une situation sans espoir de rémission et destinée à empirer. De fait, notre système a réussi le tour de force d’accroître le déficit, d’alourdir la dette, de nuire à la productivité et de réduire le pouvoir d’achat des travailleurs. Pour s’en convaincre, rien de mieux que les comparaisons internationales, même si cela est un peu douloureux.

Premièrement, la part des revenus consacrée aux retraites est de 14 % du PIB, une des plus fortes de l’OCDE, soit 25 % des dépenses publiques. Et alors me direz-vous ? Le problème tient à l’inefficacité économique et sociale de ces dépenses. D’une part, la France est le pays où l’on vit le plus longtemps à la retraite (y compris chez les ouvriers). D’autre part, nous sommes l’une des rares nations où le niveau de vie des retraités est aussi (voire plus) élevé que celui des actifs. Il n’est donc pas surprenant que ce poste soit la première cause de l’augmentation des dépenses des administrations publiques depuis 30 ans. 

Les retraités français 
ont les mêmes revenus
que les actifs
Source : OECD, Pensions at a glance 2023.
Lecture : En France le revenu des 65 ans et plus correspond à 99.8% du revenu de la population totale. Autrement dit, le revenu des 65+ est équivalent à celui du reste de la population.

Quid des impôts ? La France est sur le podium en matière de taxation du travail. Logique, il faut bien financer ce système où les individus partent à la retraite plus tôt malgré des pensions plus généreuses qu’ailleurs, même si elles sont loin d’être faramineuses. Cela pèse logiquement sur la fiche de paie, notamment pour les travailleurs les mieux rémunérés. En conséquence, le coût du travail est plus élevé en France, notamment pour les actifs les plus qualifiés, c’est-à-dire les plus productifs.

Des salaires parmi
les plus taxés de l’OCDE
Source : OCDE, Les impôts sur les salaires 2025
Note : couple marié ayant deux enfants et disposant de deux salaires, dont l’un est égal à 100 % et l’autre à 67 % du salaire moyen. Les taxes sur les salaires sont incluses si elles s’appliquent.
Lecture : le coin fiscal en France est de 41% pour les couples mariés avec deux enfants dont les revenus correspondent à la classe moyenne. Autrement dit, le salaire net des impôts de ce couple représente 59% des coûts totaux de main-d’œuvre pour son employeur.

La logique la plus élémentaire – et surtout la démagogie – inclinerait à davantage taxer les entreprises. Hélas, leurs marges ne sont pas aussi larges que certains l’affirment. Même si ces dernières reçoivent nombre de subventions et crédits d’impôt, ne nous y trompons pas, le taux de taxation net des subventions des entreprises françaises est parmi les plus élevés de l’OCDE. Pourquoi ? Parce que les cotisations patronales servant au financement des retraites pèsent lourd, très lourd même. En conséquence, ce qui aurait pu être mobilisé pour l’investissement et l’innovation d’une part et la rémunération nette des travailleurs, d’autre part, s’en trouve réduit. Ce qui, ici encore, nuit aux gains de productivité.

Des cotisations qui pèsent 
lourd sur les entreprises
Source : OCDE, comptes nationaux, tableau 14B
Note : le taux de taxation net des entreprises correspond à la somme des contributions sociales patronales, taxes nettes des subventions sur la production et impôts sur les bénéfices, le tout rapporté sur la valeur ajoutée nette.
Lecture : En France le taux de taxation des entreprises en 2019 est de 28%, soit 17.9% pour les contributions patronales, 4.2% pour les impôts sur la production et 5.9% pour les impôts sur les bénéfices.

En conséquence, travail et capital, les deux facteurs de production principaux, sont beaucoup plus taxés chez nous qu’ailleurs. À tel point que de nouvelles taxes risquent même de réduire les recettes, les effets négatifs sur la production faisant plus que compenser l’augmentation du taux de taxation. Il n’y a donc plus de marges de manœuvre, à moins que l’objectif soit de nuire à la croissance tout en augmentant le fardeau de la dette.

La bonne nouvelle est que, contrairement à nombre d’idées reçues, les inégalités de niveau de vie n’ont jamais été aussi faibles que depuis ces 10 dernières années. Autrement dit, ce point occupe une place médiatique et politique inversement proportionnelle à son coût social effectif. Dès lors, une bonne réforme des retraites devrait surtout s’attacher à ne pas réduire le niveau de vie des générations de travailleurs présentes et futures.

Source : WID
Note : Part des revenus des 10% les plus aisés dans le revenu disponible total.
Lecture : En France, le revenu disponible des 10% les plus aisés représente 23% du revenu disponible total en 2022.

La mauvaise nouvelle est que notre productivité stagne, voire décroît en tendance, ce qui vient rompre avec 70 ans de croissance, cas plutôt rare parmi les pays occidentaux. Seule la Grèce a fait pire depuis 2015… Rien de surprenant compte tenu du poids du système social (et notamment des retraites) sur la taxation du travail productif et l’investissement des entreprises. Tant pis si les gains de productivité sont essentiels pour accroître les revenus et réduire le poids des dettes et déficits. Les coûts politiques de court terme passent avant les coûts économiques et sociaux de long terme. Un classique délétère. D’ailleurs, un cercle vicieux s’est déjà enclenché, voyant le poids de notre système social porter atteinte à la croissance, accroître le déficit et conduire à imaginer davantage de taxes qui en retour affectent la productivité et la croissance.

Source : OCDE
Note : La productivité du travail est mesurée par le rapport du PIB au nombre d’heures travaillées.
Lecture : La productivité du travail a baissé de 0.2% depuis 2015 en France.

Quelles solutions alors ? Tout d’abord, l’abattement à 10 % des ménages retraités assujettis à l’impôt sur le revenu n’a pas de sens. Il favorise les retraités les plus aisés alors que l’objectif de celui-ci est de compenser les coûts associés au travail. Autre piste, la non-indexation des pensions les plus élevées (il ne s’agit bien évidemment pas de toucher aux retraités pauvres). Pour les plus craintifs (mais sincères), notez que cela n’augmentera ni les inégalités de revenu ni le taux de pauvreté. En revanche, cela redonnera un peu d’air aux finances publiques et au pouvoir d’achat des travailleurs. Et si l’on croit cela infaisable, la meilleure preuve du contraire demeure la non-revalorisation du point d’indice des fonctionnaires qui, depuis de nombreuses années, ne semble préoccuper que les principaux concernés (dont je fais partie). 

 Il y a enfin la question que tout le monde se pose, faut-il repousser l’âge de départ à la retraite ? De fait, la pyramide des âges est sans appel, le déséquilibre est structurel, large et persistant. Or, puisque le levier de la taxation du travail a déjà atteint ses limites économiques et politiques, et à défaut de gains de productivité, il ne reste que la réduction des dépenses et l’augmentation de la durée de cotisation. L’usage de ces deux leviers est nécessaire, chose que nos voisins ont comprise depuis bien longtemps.