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18 juin 2025

Depuis quelques années, la France fourmille de projets nucléaires innovants, notamment du côté des SMR, ces petits réacteurs plus sûrs et plus industrialisables que leurs aînés. Mais lundi soir, les députés ont peut-être mis un coup d’arrêt à cet enthousiasme, en donnant à EDF le monopole de la construction et de l’exploitation de tous les réacteurs nationaux.

Pas plus tard qu’hier, nous nous réjouissions de la vitalité de nos jeunes pousses atomiques. C’était sans compter sur un improbable coup de théâtre. Dans un hémicycle vide des partis centristes, un amendement déposé par le groupe LFI-NFP et voté par le Rassemblement national a suspendu l’avenir de ces startups au vote du Sénat. En l’état, impossible pour elles de construire des réacteurs ou de les exploiter sur notre sol.

Un vote, deux visions

Pour la gauche, il ne s’agit pas tant de garantir le monopole d’EDF que de sortir du nucléaire. Leurs amendements demandent purement et simplement la suppression de l’objectif de construire de nouveaux réacteurs et réclament un avenir 100 % renouvelables, suivant les scénarios Negawatt et M0 de RTE – malgré les incertitudes et les coûts pointés par les spécialistes du secteur.

Pour le Rassemblement National, cette initiative se fonde sur l’étonnante croyance que le public est plus à même de garantir la sécurité que le privé, alors même que le seul accident d’envergure fut, à Tchernobyl, l’œuvre d’un monopole d’État. Interpellé, Maxime Amblard, le « spécialiste énergie » du mouvement, se défend de vouloir mettre fin à l’entrepreneuriat nucléaire tricolore. « L’amendement adopté n’empêche absolument pas les initiatives privées en matière de recherche, de développement et de conception de nouveaux réacteurs », se défend-il sur X. On imagine pourtant mal EDF construire les SMR de ses concurrents et les investisseurs continuer à financer des entreprises interdites de fabriquer leurs produits.

Mettre fin à l’atome, ou se passer du privé ? Deux visions à contre-courant de la marche du monde. Car depuis deux ans, le nucléaire entame une véritable renaissance, porté par une multitude d’initiatives entrepreneuriales et par le boom de l’intelligence artificielle.

Le printemps des start-up du nucléaire français

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Vers un nouvel âge atomique ?

L’an dernier, Google signait un contrat à long terme avec Kairos Power, concepteur de petits réacteurs, pour que l’entreprise puisse commencer à les fabriquer en série. TerraPower, la startup atomique de Bill Gates, assemble les éléments de son réacteur avancé au sodium, Natrium, dans le Wyoming. Microsoft finance la remise aux normes de Three Mile Island. Il y a 15 jours, Meta scellait un partenariat de 20 ans avec la centrale de Clinton, dans l’Illinois, pour alimenter ses datacenters IA en énergie continue. Amazon s’est branché à celle de Susquehanna via Talen Energy, avec une connexion directe à 960 MW. Plus que de simples consommateurs, à ce rythme, les GAFAM pourraient presque devenir les premiers énergéticiens bas carbone de la planète.

Et les Américains ne sont pas les seuls à avoir chopé le coup de foudre pour l’atome. À l’échelle internationale, sa cote est sans précédent. Le Royaume-Uni injecte des gigawatts d’espoir dans le projet Sizewell C et dans les SMR Rolls-Royce, destinés à réactiver le réseau bas carbone. En Belgique, nous assistons à un vrai retournement de polarité : en mai dernier, le pays a abrogé sa loi de sortie du nucléaire et compte désormais doubler sa capacité d’ici 2035. En Suisse, après des années de refroidissement politique, le moratoire sur la construction de nouvelles centrales est sur le point de sauter. La Finlande et la Suède poursuivent leur montée en charge sans bruit mais avec constance. Même le Danemark, jusqu’ici allergique à l’atome, commence à réévaluer sa doctrine et à considérer l’hypothèse nucléaire dans son mix énergétique.

Le financement, carburant discret de la relance

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Longtemps sous tension, parfois mis en veille, le nucléaire redémarre partout où la demande monte en flèche et où le carbone devient un fardeau. Ce n’est plus un simple retour, c’est une remontée en pression. De l’Illinois à l’Ardèche, du Wyoming à Bruxelles, les neutrons s’agitent, les lignes bougent, les réacteurs s’éveillent. Tous les projets n’aboutiront pas. Nul doute que la concurrence fera le tri entre les plus innovants, les plus rentables et les autres. Ce que la France, en privilégiant les choix politiques aux choix du marché, tente de rejeter. En matière d’énergie, de Super Phénix à Astrid, les innombrables tergiversations du pouvoir devraient pourtant faire douter quant à sa capacité à avoir une vision claire et soutenue sur le long terme. Le triste spectacle actuellement donné à l’Assemblée, où chacun défend des visions irréalistes et inconciliables, ne pousse pas non plus à une confiance excessive dans la lucidité du personnel politique. Dommage, parce que l’énergie du XXIe siècle pourrait bien finalement être… celle dont la France a longtemps été le fleuron.