Paris, Lyon, Marseille… Dans plusieurs grandes villes françaises, le thon ne passe plus le portail des écoles. Trop de mercure dans les boîtes, selon deux ONG. Nouvel excès de précaution, ou vrai risque pour la santé des enfants ?
Cette semaine, Nice, Cagnes-sur-Mer et Marseille ont rejoint un collectif de huit villes (Bègles, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Mouans‑Sartoux, Paris et Rennes) qui ont décidé de bannir temporairement ce poisson du menu des enfants. Une décision motivée par une enquête publiée en 2024 par les ONG Foodwatch et Bloom, qui révèle des niveaux élevés de mercure dans les conserves analysées.
Alors, faut-il vraiment bannir un ingrédient aussi banal qu’une boîte de thon ? Un énième excès de zèle a-t-il succédé à un nouvel emballement médiatique ? Ou l’histoire est-elle un peu plus subtile ?
La mauvaise note du thon en conserve
Aujourd’hui, dans le thon frais, la concentration en mercure est fixée par l’Union européenne à 1 mg par kilo, comme pour d’autres grands prédateurs marins tels que l’espadon, le marlin ou le flétan. Pour les poissons plus petits, comme la sardine, le maquereau ou le merlan, la limite est beaucoup plus stricte : 0,3 mg/kg. Pourquoi une telle différence ? Parce que le thon ne peut pas, et n’a jamais pu, respecter ce chiffre. Au sommet de la chaîne alimentaire, le mercure présent chez ses proies s’accumule dans son organisme. Avec une norme trop stricte, il disparaîtrait purement et simplement des étals. Le chiffre retenu est donc plus politique que sanitaire.
Dans les boîtes de conserve, le problème s’aggrave : la chair perd de l’eau et concentre davantage le mercure. Une boîte peut contenir l’équivalent de 2 à 3 mg/kg, parfois plus. Lors des tests réalisés par les ONG, certaines affichaient jusqu’à 3,9 mg/kg. Près de 13 fois la limite tolérée pour d’autres poissons de consommation courante !
Le phénomène n’est pas nouveau. Une étude américaine a analysé les concentrations en mercure de spécimens de musées capturés il y a près d’un siècle. Celles-ci sont du même ordre qu’aujourd’hui.
Un enfant, une boîte, cas d’école
Prenons le cas extrême d’un enfant de 40 kg qui mange une boîte entière de 150 g de thon, avec une teneur de 3,9 mg/kg (le maximum mesuré). Cela représente environ 0,585 mg de mercure ingéré.
Or, la dose hebdomadaire tolérable (DHT) fixée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) est de 1,3 microgramme de mercure par kilo de poids corporel. Pour un enfant de 40 kg, cela correspond à 0,052 mg par semaine.
Une seule boîte suffit pour que cet enfant dépasse la limite… d’un facteur 11.
Le principe de précaution à la rescousse
Face à ce décalage entre normes et réalité, certaines municipalités ont décidé de jouer la carte du principe de précaution. Pour elles, tant que les seuils européens ne tiennent pas compte des conserves, mieux vaut éviter d’exposer inutilement les enfants.
Elles n’ont pas tout à fait tort. Le mercure, et plus encore le méthylmercure qui s’accumule dans les chairs des gros poissons, est un neurotoxique puissant. Chez l’enfant, une exposition élevée ou prolongée peut affecter le développement du cerveau et du système nerveux, ralentir l’acquisition du langage, altérer la mémoire ou la motricité fine. Chez l’adulte, une consommation excessive et répétée peut aussi fragiliser le système cardiovasculaire ou les reins.
Faut-il s’inquiéter dans nos cuisines ?
Soyons clairs : manger un pan bagnat ou une salade niçoise un dimanche d’été ne met personne en danger immédiat. Le mercure est un contaminant chronique : il s’accumule au fil du temps, surtout si l’on en consomme souvent. Les vrais risques concernent les enfants, les femmes enceintes et les gros consommateurs réguliers de thon.
Pour un adulte qui en mange de temps en temps, le risque reste faible. Mais pour un enfant qui en mange plusieurs fois par mois à la cantine, faire preuve de prudence peut se comprendre.
Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain… ni le poisson avec la boîte
Attention toutefois à ne pas tomber dans l’excès inverse. Tous les poissons ne sont pas logés à la même enseigne. Beaucoup – sardines, maquereaux, saumons, truites – sont à la fois riches en oméga-3 et pauvres en contaminants et jouent un rôle essentiel dans notre équilibre alimentaire.
Ce n’est bien sûr pas parce qu’il y a potentiellement un problème avec le thon en conserve que toute la mer est à proscrire. Priver la population de poissons bénéfiques serait même une grave erreur sanitaire.
L’action des maires est un coup de projecteur politique qui peut pousser Bruxelles à revoir des normes manifestement insuffisantes. Le thon, comme beaucoup d’aliments, doit se consommer avec modération. Mais en attendant une éventuelle révision des règles, rien n’empêche de profiter d’un pan bagnat ou d’une salade niçoise, contrairement à la petite musique que l’on commence à entendre cette semaine.