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20 juin 2025

En France, on meurt plus de la chaleur qu’au Mexique ou aux Philippines. Notre population, vieillissante, est plus fragile que d’autres. Pourtant, elle a moins accès à la climatisation qu’ailleurs. Une diabolisation meurtrière.

Plus de 10 000 morts en excès pendant l’été 2022, selon Santé publique France. Plus de 5000 en 2023. 47 690 en Europe. Notre continent est celui des étés meurtriers : la chaleur y tue plus qu’en Afrique, qu’en Asie ou qu’en Amérique Latine. 

Pourtant, malgré cette réalité devenue chronique, la climatisation reste chez nous perçue comme un gadget, voire une menace. On en parle du bout des lèvres, comme si admettre son utilité revenait à trahir un certain art de vivre. Résultat, la France est une anomalie : moins d’un ménage sur quatre est équipé. À des années-lumière des 90% d’américains ou de japonais, champions en la matière.

Des conséquences désastreuses…

Dans les Ehpad, la situation est souvent catastrophique. Durant l’été 2022, 60,7 % des établissements ont été thermiquement inconfortables dans les espaces privatifs. Dans les écoles, on apprend à composer avec des salles surchauffées, alors que la chaleur inhibe le développement des capacités d’apprentissage, notamment pour les étudiants à faible revenu, qui bénéficient de moins de confort chez eux. Quand les établissements ne décident pas tout simplement de jeter l’éponge.

Nos services publics suivent parfois la même voie, avec des horaires restreints. Au-delà de 25°C, nos performances chutent drastiquement. La clim, meilleure alliée de notre productivité, devrait mettre tout le monde d’accord, des salariés aux patrons. Pourtant, son absence est si marquante que notre pays est devenu une inépuisable source de moqueries, jusque dans les séries Netflix.

…qui pourraient s’amplifier

A mesure que les étés deviennent plus torrides, ce retard risque de devenir critique. Une étude récente a simulé le Paris de 2100, en pleine vague de chaleur. Le constat est sans appel : sans climatisation, les Parisiens seront exposés à un stress thermique intense pendant 15 heures par jour à l’extérieur, et plus de 7 heures à l’intérieur, chez eux comme sur leur lieu de travail. 

Comment fonctionne une clim’ ?

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Avec des systèmes de climatisation réglés à 23°C, cette exposition chute immédiatement à zéro en intérieur et n’augmente que de 20 minutes en extérieur. L’étude envisage également des alternatives, particulièrement volontaristes : convertir 10 % de la surface de Paris en parcs et isoler massivement les logements. Des dépenses importantes, pour un résultat peu probant : seulement 1h23 de stress thermique en moins à l’intérieur, trente minutes à l’extérieur. Et irréaliste : lors des canicules, toute l’eau potable consommée en région parisienne ne suffirait pas à arroser ces nouveaux espaces verts. Les réseaux collectifs de froid pourraient être une autre piste. Mais leur coût peut-il se justifier pour quelques semaines d’utilisation par an ?

Des reproches climatiques fragiles

Pourtant, la crainte du changement climatique pousse certains à lutter contre la clim plutôt qu’à l’adopter. Les rejets de chaleur en extérieur sont une première critique récurrente. La climatisation rejette effectivement de l’air chaud, mais dans des proportions très limitées, n’entraînant qu’une augmentation de 0,25°C à 0,75°C en moyenne, même lors d’une canicule. Des pics à +2,4°C ont été observés, mais uniquement après neuf jours consécutifs de chaleur extrême, et sur des zones très localisées. Pour compenser, la végétalisation a un vrai rôle à jouer. D’autant qu’une maison bien isolée rejette presque autant de chaleur qu’une maison climatisée. Dans un logement passif, l’énergie solaire est réfléchie ; dans un logement climatisé, elle est évacuée. Dans les deux cas, des kilowatts thermiques sont renvoyés dehors. 

Non, la clim’ ne « donne » pas le rhume

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Les fluides réfrigérants, les HFC, gaz à effet de serre très puissants, sont aussi pointés du doigt. Ils sont pourtant utilisés en circuit fermé, et ne peuvent s’échapper qu’en cas de défaut d’entretien. La réglementation F-gaz de l’Union Européenne prévoit par ailleurs le basculement progressif vers des gaz à Pouvoir de Réchauffement Planétaire (PRP) plus faible.

On lui reproche enfin sa consommation d’énergie. Un argument difficilement audible : l’été, la France produit plus d’électricité bas carbone que nécessaire, grâce à son parc nucléaire et à l’énergie solaire. Et les pompes à chaleur réversibles – qui chauffent l’hiver et refroidissent l’été – sont deux à quatre fois plus efficaces que les chaudières à gaz, trois à cinq fois plus que des radiateurs électriques. 

La climatisation, vecteur de progrès humain

« Elle a été l’invention la plus marquante de l’histoire. Ma première action a été de l’installer dans les bâtiments publics. C’était la clé de l’efficacité de l’administration. » Lee Kuan Yew, fondateur du Singapour moderne, ne s’y est pas trompé. La chaleur emporte les plus âgés, les plus pauvres, les plus fragiles. Face à elle, la clim’ est en train de devenir un outil fondamental de justice climatique. Il est urgent qu’enfin, la France l’adopte sans remords. Grâce à notre électricité bas-carbone, elle sera même la plus vertueuse du monde.