La France va-t-elle réintroduire un dangereux poison pour les humains, les abeilles et la biodiversité, comme le clament LFI, les écologistes, les associations environnementales, mais aussi certains chercheurs ? Accusé acétamipride, levez-vous !
« Tueur d’abeilles » pour le syndicat d’apiculteurs UNAF, « poison » selon la députée écologiste Delphine Batho, « une des causes du cancer du pancréas » dixit la députée verte Sandrine Rousseau… L’acétamipride, un insecticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2018, a enflammé le Palais Bourbon la semaine dernière. Sa réautorisation, bien que temporaire, dérogatoire et très encadrée, est l’élément le plus explosif de la loi Duplomb visant « à lever les contraintes du métier d’agriculteur », votée par le Sénat en janvier et examinée actuellement en commission mixte paritaire à l’Assemblée nationale.
Un néonicotinoïde pas comme les autres ?
Pour la gauche, les Verts et pour certains scientifiques, réintroduire cette molécule serait criminel pour l’environnement, la santé humaine et les pollinisateurs. Elle est pourtant homologuée par l’Agence sanitaire européenne (EFSA) jusqu’en 2033 et reste donc autorisée dans les 26 autres pays de l’Union européenne. Tous irresponsables, donc ?
Il faut pourtant distinguer l’acétamipride des quatre autres néonicotinoïdes (NNI), utilisés en Europe depuis les années 90, et combattus dès l’origine par les apiculteurs et les écologistes. Tous sont de puissants neurotoxiques (ciblant le système nerveux), très efficaces pour lutter contre les ravageurs de nombreuses cultures. Dans les années 2010, l’Inrae et l’ITSAP (Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation) ont mis en évidence la forte rémanence de certains NNI dans les sols et les cours d’eau et le fait que, même à faible dose, ils pouvaient désorienter les abeilles et les empêcher de retrouver leur ruche. Ce sont ces travaux qui, en 2016, ont conduit Ségolène Royal, alors ministre de l’Écologie, à faire voter l’interdiction (effective en 2018) de tous les NNI. Une décision purement politique, a rappelé récemment devant les députés Benoit Vallet, président de l’agence sanitaire française (Anses) et sans doute trop radicale. Car si l’Union européenne a suivi la France sur 4 molécules, elle a maintenu l’autorisation de l’acétamipride. Selon la plupart des agences sanitaires, dont l’EFSA, la toxicité sur les abeilles de cette substance active est en effet nettement plus faible, et sa persistance dans l’environnement beaucoup plus courte, avec une demi-vie (durée nécessaire à la disparition de 50 % du produit) souvent inférieure à 8 jours, contre plusieurs centaines de jours pour les autres NNI.
Une interdiction dévastatrice pour les producteurs français
Le choix de la France a généré de graves distorsions de concurrence pour des pans entiers de l’agriculture, jugées inacceptables par beaucoup de producteurs. Face à des attaques dévastatrices de pucerons en 2020, les betteraviers ont obtenu par dérogation la possibilité d’utiliser des semences enrobées de deux NNI (imidaclopride et thiaméthoxame) avant que le Conseil d’État n’y mette fin en 2023 sous la pression des écologistes. Un désastre pour la filière sucrière française (leader en Europe), alors que sa concurrente allemande pulvérise chaque année ses champs à l’acétamipride. « Les betteraviers allemands nous regardent, morts de rire, mourir à petit feu », s’indigne sur France Info Bruno Cardot, producteur de betteraves dans l’Aisne, rappelant que six sucreries ont fermé en six ans. « Je cherche des solutions alternatives [notamment de biocontrôle] mais elles ne sont pas encore au point. Dans quatorze pays, les semis de betterave sont traités cette année à l’acétamipride. Je veux les mêmes règles ! » L’an dernier, la filière noisette a subi des pertes de rendement de l’ordre de 30 % face aux attaques de balanin et de punaises diaboliques, faute de réelle alternative à l’acétamipride, selon les producteurs. Mêmes impasses technologiques en perspective pour les vergers de pommiers ou de pruniers, ou pour de nombreux légumes.
En 2022 et en 2024, l’EFSA a procédé à de nouvelles évaluations de la molécule, sur la base d’études qui lui ont été soumises par la France (très désireuse de la faire interdire dans toute l’UE) et par l’organisation Pesticide Action Network (PAN Europe). L’agence persiste et signe : « si l’acétamipride est utilisé conformément aux conditions réglementaires, nous estimons qu’il ne pose pas de problème pour la santé humaine et pour l’environnement», a déclaré récemment une porte-parole de la Commission européenne.
La perfection, ennemie de la raison ?
Certes, même avec des conditions d’utilisation draconiennes, ce produit ne peut pas être considéré comme inoffensif. Aucun insecticide ne l’est, par définition. Si certaines accusations relèvent de la pure mauvaise foi, tel le lien entre cancer du pancréas et acétamipride démontré par aucune étude (à lire : Aspartame, pesticides… stop à l’instrumentalisation du cancer), de nombreux effets potentiels sur la santé humaine et l’environnement n’ont pas encore été testés. L’EFSA évalue donc actuellement un possible impact de la molécule sur le développement des neurones et des structures cérébrales associées à l’apprentissage ou la mémoire, mais aussi les risques de perturbation endocrinienne, ou encore les effets potentiels sur la reproduction des pollinisateurs. Dans l’attente d’études de grande ampleur et de qualité sur ces questions, l’Agence a recommandé l’an dernier d’abaisser les seuils toxicologiques, notamment la dose journalière admissible de résidus (DJA).
Les agriculteurs en sont conscients : il faudra, avec le temps, trouver des substituts moins agressifs, avec le soutien des chercheurs. Les filières y travaillent, mais cela prendra des années. Dans l’intervalle, la France va devoir trouver un chemin équilibré : se prémunir des effets les plus délétères des pesticides, sans sacrifier son autonomie agricole et alimentaire. En raisonnant plus sereinement en termes de bénéfices / risques ?