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9 juin 2025

Un ennemi revient sous les projecteurs : le cadmium, brandi dans les médias comme une nouvelle « bombe sanitaire » pour les Français. Pourtant, loin des effets de manche, il est essentiel d’examiner calmement les faits, sans céder à l’alarmisme ambiant. Les Électrons Libres sont là pour ça ! Alors ? S’empoisonne-t-on vraiment avec les céréales du matin ou le pain quotidien ?

D’où vient le cadmium ?

Ce métal lourd est naturellement présent dans les roches phosphatées, utilisées depuis des décennies pour fabriquer des engrais. Selon leur origine, ces phosphates peuvent contenir de quelques dizaines à plusieurs centaines de milligrammes de cadmium par kilogramme. Une fois épandus, ils se dispersent dans le sol, se lient aux particules argileuses et à la matière organique, puis s’infiltrent dans les plantes via les racines. Les feuilles (épinards, choux), tubercules (pommes de terre) et surtout les céréales (blé, riz, avoine, maïs) sont particulièrement susceptibles d’accumuler ce métal. Mais pas que : les crustacés aussi.

En France, l’enquête ESTEBAN (2014–2016), publiée en 2021, montre qu’une proportion significative de la population française est exposée : 47 % des adultes et 18 % des enfants présentent un taux urinaire de cadmium supérieur à la valeur critique (≈ 0,5 µg/g de créatinine) définie par l’ANSES. Ce sont ces chiffres qui justifient l’alerte sur les céréales, car ce sont les enfants qui en consomment le plus. « On empoisonnerait donc nos enfants ? » Loin de là … Car, en creusant un peu – ce que certains confrères omettent parfois de faire – on constate que le sur-risque de voir un taux biologique élevé parmi les consommateurs réguliers de céréales n’est que de …8 % par rapport aux gamins qui en consomment très peu ! Pas de quoi fouetter le matou ! De même, on évite de dire que chez les adultes, le principal facteur de risque retrouvé parmi les 47% des adultes… est le tabagisme. Là, le risque de constat de la présence d’un taux élevé de cadmium dans l’organisme augmente de plus de 50% ! Et oui… dans chaque cigarette il y a entre 1 et 2 µg de cadmium !

Au surplus, il est nécessaire de garder en mémoire que les recommandations actuelles sur les valeurs toxicologiques de référence (fondées avant tout sur un risque accru d’atteinte tubulaire rénale ou d’ostéoporose) intègrent d’importantes marges de sécurité : les dépasser ne se traduit pas nécessairement par une maladie, d’autant que le cadmium s’accumule sur plusieurs décennies et que chaque individu réagit différemment.

Le cadmium : un enjeu politico-économique

Derrière la question sanitaire, se cache en réalité un véritable bras de fer géopolitique gavé de lobbying. Les engrais phosphatés importés du Maroc, riches en cadmium (60–70 mg/kg de P₂O₅), rivalisent avec ceux de Russie, beaucoup moins contaminés (< 20 mg/kg). Lorsque l’Union européenne a proposé d’abaisser progressivement le seuil maximal à 20 mg/kg d’ici 2034, Rabat a déployé un lobbying intense pour préserver ses parts de marché, tandis que Moscou, voyant une opportunité pour renforcer ses exportations, a soutenu des normes strictes. Selon notre consœur du Point, Géraldine Woessner, cette démarche russe serait l’œuvre de Safer Phosphate, un « lobby créé en 2016 par le géant […] des engrais PhosAgro, propriété de l’oligarque Andrey Guryev, proche de Vladimir Poutine ». Ce qui expliquerait que l’étude ayant conduit à sonner l’alerte médiatique, ne comportant pourtant aucune nouvelle donnée, se soit opportunément invitée dans le débat, afin d’offrir quelques lauriers vertueux au Kremlin, tandis que fait rage la guerre qu’il mène à une Ukraine soutenue par l’UE. 

Entre pays nordiques, Benelux et États méditerranéens, les débats ont reflété tant des préoccupations sanitaires que des enjeux économiques. Au final, le règlement européen (UE) 2019/1009 a opté pour un seuil intermédiaire (60 mg/kg en 2022, 40 mg/kg en 2026, 20 mg/kg en 2034). Un compromis qui témoigne de la pression exercée par les différents Etats concernés. 

Et le cancer ?

Le cadmium est classé cancérogène avéré (CIRC, Groupe 1), mais ses dangers dépendent de la dose et de la durée d’exposition. Une méta-analyse de 2025 signale un risque relatif (RR) de 2 pour le cancer du pancréas : exposé à forte dose, on pourrait doubler le risque. Cependant, ce chiffre reste modéré comparé à d’autres facteurs mieux documentés : le tabagisme (RR > 4 pour un paquet par jour), la consommation excessive d’alcool ou l’obésité, qui jouent ici un rôle plus net et mieux établi. Comme bien souvent. Même si nombreux préfèrent regarder ailleurs. Ce ne sont donc pas nos céréales ou notre tartine matinale qui sont donc le plus à incriminer.

Pour autant attention ! L’accumulation chronique du cadmium n’est pas anodine. De faibles apports répétés s’ajoutent au fil des années et peuvent induire des atteintes rénales (tubulopathies), osseuses (ostéoporose, fractures) voire cardiovasculaires, même sans symptôme immédiat.

Phobie alimentaire et responsabilités médiatiques

La solution miracle selon certains pour ne pas se tuer à petit feu ? Consommer bio ! Une méta-analyse publiée il y a plus de dix ans rapporte que les aliments issus de la filière bio présentent en moyenne 48% de cadmium en moins que les aliments issus de l’agriculture traditionnelle. Problème, pour arriver à un tel chiffre, cette méta-analyse a colligé des publications allant de 1992 à 2011, qui ne reflètent pas les modes de cultures d’aujourd’hui. Car outre le fait que l’agriculture bio peut aussi contenir des résidus de cadmium, en agriculture conventionnelle, l’utilisation des engrais phosphatés a été divisée par deux depuis l’an 2000

La chute de l’utilisation des engrais phosphatés

J’approfondis

Les messages alarmistes, assimilant les céréales pour enfants ou le pain à un poison permanent, sont non seulement exagérés, mais aussi injustes envers ceux qui ne peuvent pas s’offrir des produits bio ou de niche. Culpabiliser les familles modestes, au prétexte qu’elles achètent des produits « à bas prix », est un procédé dangereux. La peur générée risque de faire basculer nombre de nos compatriotes dans la méfiance systématique, voire la défiance envers toute autorité sanitaire. Les Électrons Libres ont déjà souligné la dérive similaire avec l’alerte autour de l’aspartame, pourtant bien plus anodin que le cadmium. Preuve en est que crier au loup quelle que soit la substance concernée peut s’avérer problématique.

En guise de conclusion. Si la nuance nous est permise…

Le cadmium mérite de faire l’objet d’une vigilance sérieuse, mais ne doit pas provoquer une panique contagieuse. Il est donc, à son propos, nécessaire de :

  • Reconnaître que son accumulation à long terme peut nuire à la santé, en particulier aux fonctions rénale et osseuse.
  • Comprendre que l’exposition actuelle (hors tabagisme assidu) n’entraîne pas automatiquement un surcroît massif de cancers, notamment pancréatiques.
  • Se méfier des messages trop choquants qui occultent la nuance nécessaire et culpabilisent inutilement.
  • Promouvoir des pratiques agricoles et industrielles réduisant la teneur en cadmium, tout en encourageant une alimentation diversifiée plutôt qu’une diète de la peur.

Enfin, pour répondre à l’appel de l’ancien Ministre de la Santé Aurélien Rousseau et de l’actuel, Yannick Neuder, pousser en faveur de la création d’un registre national épidémiologique des cancers pour mieux comprendre les véritables facteurs de risque évitables… qui peuvent d’ailleurs varier d’un territoire à l’autre.

En somme, informer sans dramatiser, c’est protéger la santé publique sans alimenter la psychose. Elle-même dangereuse pour la santé.

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