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5 août 2025

Laquelle choisir ? C’est la question que chacun s’est déjà posée devant son rayon fruits et légumes au moment de choisir entre une laitue conventionnelle et son alternative bio, presque deux fois plus chère. La santé serait-elle à ce prix ?

Dans l’imaginaire collectif, le logo AB agit comme un talisman. Il suggère une assiette plus saine, censée protéger des cancers et autres maladies chroniques. Ce récit est nourri par un marketing agressif, largement relayé par une communication médiatique et politique très alarmiste sur les « pesticides chimiques ».

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Mais que dit vraiment la littérature scientifique ?

Les promesses santé du bio : des corrélations, mais pas de preuves

L’une des études épidémiologiques les plus commentées est celle de NutriNet-Santé, publiée en 2018. Elle a suivi près de 70 000 volontaires pendant quatre ans, dont 78 % de femmes, d’un âge moyen de 44 ans. Au total, 1 340 cancers ont été diagnostiqués. Résultat : les consommateurs réguliers de produits bio affichaient un taux de cancers de 1,6 %, contre 2,2 % chez les non-consommateurs — soit une différence relative d’environ 25 %.

De quoi nourrir un battage médiatique sans nuance… mais trompeur. Car il s’agit d’une étude observationnelle de cohorte, sans répartition aléatoire entre groupes « bio » et « non bio ». Or, avec cette méthode, les différences constatées peuvent résulter de biais de confusion (habitudes alimentaires globales, niveau d’études, activité physique, tabagisme…), plutôt que d’un effet direct du mode de production. Dit autrement : les amateurs de bio ne sont pas en meilleure santé parce qu’ils mangent bio, mais mangent bio parce qu’ils prennent soin de leur santé et sont donc sensibles aux messages prétendant cette agriculture plus vertueuse sanitairement.  .

Pourtant, l’Institut national du cancer le rappelle explicitement : « Il n’y a pas de preuve scientifique qui indique qu’une alimentation bio réduit le risque de cancer ».

Même prudence dans une étude norvégienne (MoBa) portant sur 28 000 femmes enceintes. Elle suggère une association entre consommation fréquente de légumes bio et réduction du risque de prééclampsie (une hypertension artérielle pouvant survenir après 20 semaines de grossesse). Mais là encore, ce lien statistique pourrait s’expliquer par d’autres paramètres liés au mode de vie, indépendamment du bio lui-même.

Enfin, une revue systématique de Stanford, publiée en 2012, n’a identifié aucun bénéfice clair du bio sur la santé, ni de différence notable en valeur nutritionnelle, et pas davantage en morbidité, malgré une exposition réduite aux résidus de pesticides.

Pesticides dangereux : la décrue silencieuse

De son côté, l’agriculture conventionnelle ne reste pas figée dans ses pratiques et progresse continuellement. Depuis 2009, les quantités de substances classées CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) qu’elle utilise ont fortement diminué en France. Les CMR1 (les plus préoccupantes) ont été quasiment éliminées à partir de 2021, tandis que les CMR2 ont chuté de près de moitié en dix ans. Ces évolutions traduisent les améliorations continues de la régulation européenne et des pratiques agricoles, qui tendent à éliminer les molécules les plus dangereuses. 

Risques de résidus et contaminations naturelles : pas de blanc-seing pour le bio

La question des résidus de pesticides illustre bien cette autre nuance. Les enquêtes officielles montrent qu’environ 10 % des fruits et légumes bio contiennent des traces mesurables, contre près de 50 % en conventionnel. Mais toutes filières confondues, plus de 95 % des échantillons restent entre 50 et 100 fois en dessous des limites maximales de résidus fixées avec une large marge de sécurité. Autrement dit, même si la salade conventionnelle a plus de chances de contenir un résidu, celui-ci reste très inférieur aux seuils jugés préoccupants. À moins de consommer plusieurs dizaines de salades par jour, l’impact sanitaire est négligeable. Pas de quoi — vous en conviendrez — en faire toute une salade.

Précisons aussi que la méthode la plus efficace pour éliminer la grande majorité des résidus présents en surface reste… de laver ses fruits et légumes.

Mais tout ne peut pas se nettoyer. C’est le cas de la bière. Or, une étude récente portant sur 45 d’entre elles, a détecté des traces de glyphosate dans plus de la moitié des échantillons — y compris deux productions bio — à des niveaux si faibles qu’il faudrait boire près de 2 000 bouteilles par jour pour atteindre la dose maximale admissible. On vous a pourtant martelé (à raison) que l’alcool devait être consommé avec modération !

Ces résidus, même dans les produits bio, sont généralement dus à des contaminations fortuites : dérives de pulvérisation, pollution environnementale ou fraudes ponctuelles. Preuve en est, que le bio est régulièrement l’objet de rappels de ses produits. Ainsi, en 2025, un lot de potimarrons bio français a été retiré du marché pour dépassement des seuils réglementaires en pesticides, tout comme un autre, de poivre noir bio importé, contaminé par de l’anthraquinone, une substance non autorisée.

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Cela ne signifie pas que le label soit trompeur. Seulement qu’il ne donne en rien un blanc seing sanitaire sur la seule base de sa revendication.

D’autant que les agriculteurs bio utilisent notamment le sulfate de cuivre pour lutter contre les maladies fongiques. Ce métal lourd, « naturel » certes, s’accumule dans les sols et peut être toxique pour la faune… comme pour l’être humain, s’il est soumis à de fortes doses du produit.

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Autre exemple souvent ignoré : les alcaloïdes pyrrolizidiniques (AP), toxines naturelles produites par certaines plantes sauvages (séneçon, datura…). On en a retrouvé dans des herbes aromatiques bio, entraînant des rappels de produits. Des vaches en pâture peuvent aussi en ingérer si leur pré est infesté : des traces d’AP peuvent alors se retrouver dans le lait, y compris bio.

Même logique pour l’aflatoxine M1, une mycotoxine cancérogène issue de fourrages moisis, détectable dans le lait — bio ou non — en cas de mauvaises conditions de stockage. Mais, rassurons-nous, ces contaminations restent exceptionnelles, grâce à la rigueur des contrôles européens.

Enfin, des enquêtes ont mis en lumière la présence de polluants persistants (PCB, dioxines) parfois plus élevée dans des produits animaux bio, ou encore des taux de phtalates surprenants dans certaines huiles d’olive bio, parfois supérieurs à ceux mesurés en conventionnel.

Autant de signaux qui rappellent que « bio » ne rime pas automatiquement avec « pureté », et que, quels que soient les labels, la vigilance et les contrôles sanitaires restent essentiels.

Nutrition et équilibre : le vrai levier santé

La plupart des méta-analyses convergent vers un même constat : les grands déterminants nutritionnels de notre santé sont la surconsommation de sucre, de sel, d’alcool, de produits ultra-transformés et la sédentarité — bien plus que l’exposition résiduelle à des substances déjà très encadrées.

Ainsi, passer de deux à cinq portions quotidiennes de fruits et légumes, bio ou non, diminue la mortalité toutes causes confondues de l’ordre de 13 %. Inversement, un burger-frites bio reste de la malbouffe bio, tandis qu’une assiette de brocolis surgelés conventionnels constitue un véritable atout pour le cœur et les artères.

Et puis, il y a le coût — un facteur décisif. Le surcoût du bio varie de +30 % à +80 % selon les filières et les enseignes le commercialisant. Pour un foyer modeste, cette surtaxe peut réduire la consommation totale de végétaux. Or, la première priorité de santé publique est d’augmenter la part de fruits et légumes dans l’assiette, pas de sélectionner un label ni de privilégier les plus chers. Et le constat est préoccupant : seulement un Français sur cinq atteint les cinq portions recommandées par jour, une part encore plus faible chez les jeunes.

Le marketing de la peur, qui laisse entendre qu’« hors du bio, point de salut », risque aussi de détourner les budgets des ménages de produits sains mais accessibles. 

C’est que conclut une thèse soutenue en 2018 : « À l’échelle individuelle, nous devons continuer à encourager nos patients à manger des fruits et légumes conventionnels s’ils ne peuvent avoir accès au bio. En effet, des études confirment qu’il est préférable de consommer des légumes avec pesticides que de ne pas en manger du tout. »

Alors, quelle salade choisir ?

Une laitue conventionnelle bien lavée ne mettra pas votre santé en danger, même consommée quotidiennement. Si réduire légèrement votre exposition aux résidus vous semble important — et si votre budget le permet — alors la salade bio peut être une option.

Mais l’essentiel est ailleurs : manger plus de végétaux variés, choisir des produits frais, éviter la malbouffe et les produits ultra-transformés, cuisiner davantage, bouger plus. Le bio est un choix possible, pas un passage obligé. Ce qui compte, c’est ce que vous mettez dans votre assiette… pas le logo sur l’étal.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Suite la semaine prochaine avec le chapitre III : Environnement, le vert à moitié plein.

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