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24 juin 2025

NoHarm ? C’est le nom d’une IA développée par une fratrie brésilienne, qui permet de sauver des vies dans les coins les plus reculés du pays, et particulièrement en Amazonie. Son but ? Éviter les erreurs de prescription pour les médecins locaux, rares et débordés par l’afflux de patients venant des quatre coins de la région.

C’est grâce au média technophile à but non lucratif Rest of World que les informations que nous vous diffusons dans cet article sont arrivées à notre connaissance. Ce site, financé par la fondation Schmidt – créée par l’ancien patron de Google, Eric Schmidt, et sa femme, Sophie – se consacre exclusivement à l’observation du progrès à l’extérieur des pays occidentaux. C’est le premier, grâce au journaliste Pedro Nakamura, à faire le récit de l’impact de l’assistant IA NoHarm (Hospital Pharmacy Enhancing System) dans l’aide qu’il apporte aux pharmaciens des régions reculées d’Amazonie pour éviter les graves erreurs de prescription.

Le défi amazonien

Dans cet immense territoire où cliniques, dispensaires et pharmacies se font rares et doivent prendre en charge un nombre incalculable de patients, les médecins, harassés, peuvent se tromper dans la rédaction de leurs ordonnances, les dosages des médicaments et ne pas avoir le temps de prendre en compte les interactions entre les molécules. D’autant plus que le climat et les conditions de vie locales sont aussi rudes que propices aux très nombreuses maladies endémiques et aux accidents. Cette diversité pathologique nécessite donc des connaissances très larges pour être envisagée avec justesse. Et tous les soignants n’en disposent pas toujours. C’est donc aux pharmaciens locaux d’assurer la pharmacovigilance indispensable pour éviter les drames.

Caracaraí, ville pilote

C’est ce que Samuel Andrade, pharmacien à Caracaraí, 22 000 habitants, en Amazonie brésilienne, vit au quotidien, ainsi que le raconte Pedro Nakamura. « Chaque matin à 8 h, Andrade prend son poste pour traiter des centaines d’ordonnances en provenance des cliniques gratuites de l’État. La plupart du temps, il n’arrive pas à tout gérer. Il passe des heures à vérifier les bases de données de médicaments pour s’assurer que les prescriptions, émises par des médecins des zones rurales, ne présentent pas d’erreurs. Ce travail est extrêmement stressant. Chaque jour, il doit également accueillir des dizaines de patients qui font la queue devant son dispensaire, certains ayant parcouru plusieurs jours de trajet pour y parvenir. Il lui arrive de devoir aller vite, au risque de laisser passer une erreur dangereuse. » Mais depuis avril 2025, sa vie et son travail ont changé, grâce à NoHarm, son nouvel assistant. En réalité, un logiciel dopé à l’intelligence artificielle, capable de signaler les prescriptions problématiques et de lui fournir les données nécessaires pour évaluer leur sécurité. « Résultat : sa capacité de traitement des ordonnances a été multipliée par quatre, confie-t-il à Rest of World. En quelques mois d’utilisation, l’IA a détecté plus de 50 erreurs. »

Rattraper le retard de l’IA médicale

Il n’est pas le seul à bénéficier de l’expertise du logiciel. Comme la France, le Brésil fait partie de ces pays où l’État assure des soins gratuits à l’ensemble de la population, mais également aux étrangers présents sur son territoire. Ce sont 200 millions de personnes qui sont concernées, créant une saturation complète d’un système cruellement impacté par le manque de personnel, particulièrement dans les zones rurales ou isolées, comme le sont nombre de territoires amazoniens. D’où l’importance du déploiement de NoHarm, particulièrement dans une nation dont la médecine a tardé à prendre le virage de l’IA. Depuis l’expérience pilote de Caracaraí, plus de 20 villes des rives de l’Amazonie l’ont rejoint avec des résultats probants.

Une histoire de famille

Le logiciel a été développé par une pharmacienne, Ana Helena, et son frère, informaticien, Henrique Dias, depuis Porto Alegre, la capitale de l’État du Rio Grande do Sul. Une idée reflétant leur volonté de soulager les pharmaciens de la montagne de paperasse qui les empêche de se consacrer pleinement à la réelle pratique de leur métier. Ils ont créé un modèle d’apprentissage automatique open source, entraîné à partir de milliers d’exemples réels. NoHarm a rassemblé des données anonymisées de patients et d’ordonnances. L’algorithme a été nourri de milliers de combinaisons de médicaments, erreurs de dosage et interactions indésirables. « Il a ainsi appris à repérer des schémas que même des professionnels expérimentés peuvent manquer, explique Dias, PDG de l’organisation. » Le logiciel peut traiter des centaines d’ordonnances à la fois, en signalant les cas douteux. Il ne prend pas les décisions à la place des professionnels, mais les aide à les éclairer. « Nous fournissons une série d’alertes, et c’est le professionnel qui les évalue en fonction des besoins du patient », précise Dias à Pedro Nakamura. C’est notamment ce qui a permis à Nailon de Moraes, médecin dans une petite clinique à Caracaraí, d’éviter quatre graves erreurs de prescription, après qu’elles lui ont été signalées par Samuel Andrade, grâce à son usage de NoHarm.

Ne pas halluciner !

Mais tout n’est pas encore parfait. Comme toute IA, NoHarm reste perméable aux hallucinations et autres bugs, qui pourraient avoir des conséquences pires que les simples erreurs médicales. Surtout que son exploitation en Amazonie le confronte à de nombreuses maladies tropicales pour lesquelles il n’est pas encore suffisamment entraîné. Il s’est en effet cantonné dans un premier temps aux pathologies les plus courantes du sud du pays, où se trouve Porto Alegre. Mais le problème est en train d’être corrigé, la phase d’apprentissage restant intense. Une phase, rappelons-le, commune à toute forme d’intelligence – artificielle ou humaine – qui suppose d’apprendre à partir de l’existant. Un principe parfois critiqué pour son manque de respect des droits d’auteur, mais qui prend ici toute sa dimension, dès lors qu’il s’agit d’améliorer un outil qui sauve des vies.