Parmi les cas désespérés en termes de vaccination au moment de son indépendance, en 1971, le Bangladesh est en passe de remporter l’impossible pari d’assurer seul le financement de la couverture vaccinale de sa population. Un miracle qui est parallèle au boum économique que connaît le pays.
Penser le Bangladesh d’aujourd’hui, c’est accepter de mener un intense combat contre ses a priori, longtemps pourtant fondés sur de tristes réalités. C’est tenter d’oublier les macabres coups d’État qui ont émaillé l’histoire de ce jeune pays, né en 1971 sur les cendres de l’improbable Pakistan oriental. Car seul un cerveau distrait ou peu instruit par l’Histoire pouvait penser que deux entités d’une même nation survivraient en ayant entre elles deux mille kilomètres du territoire d’un autre pays, par ailleurs hostile, l’Inde. Ce qui fut pourtant le pari fou et perdant des artisans de la partition de 1947. D’autant plus qu’on ne parle pas la même langue à Islamabad et à Dacca, le Pakistan employant l’ourdou et le Bangladesh, le bengali. Bref.
Penser ce Bangladesh, c’est aussi tourner le dos à une litanie de famines ayant traversé les siècles et charrié leurs millions de morts, jusqu’à celle de 1973-1974. C’est beaucoup se résigner en considérant la lutte implacable et stérile entre deux visions politiques : celle du Parti nationaliste du Bangladesh, allié aux islamistes, et celle de la Ligue Awami, laïque, aux fondamentaux idéologiques variables, mais presque toujours sensibles à une autocratie pourtant contraire à la constitution de cette relative et fragile démocratie parlementaire. C’est faire fi de la topologie d’un État qui partage avec les Pays-Bas d’avoir une large partie de son territoire situé sous le niveau de la mer, mais sans les polders, et se retrouve familier de terribles catastrophes naturelles : inondations sans pareilles, cyclones dévastateurs, comme celui de Bhola, qui, en 1970, fit 500 000 morts.
Bref, penser le Bangladesh en 2025, c’est, sans oublier ses faiblesses et les drames qui émaillent sa courte histoire, regarder avec admiration certains facteurs de sa rédemption, dont un élément particulier est le symbole : son rapport à la vaccination. Et là, miracle, pour un pays qui, à ce sujet, était pourtant jugé désespéré il y a un demi-siècle. Grâce à ses progrès économiques et à une large prise de conscience nationale, il est en train d’autonomiser son programme de vaccination avec des résultats exceptionnels. Or, jusqu’à présent, tout était intégralement pris en main par Gavi, l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation, fondée en 2000 en partenariat avec l’OMS, la Banque mondiale et l’Unicef. Une organisation internationale dont la mission consiste à participer financièrement et logistiquement aux campagnes de vaccination des États qu’elle soutient.
Du critique au magique
Pour comprendre l’étendue du miracle vaccinal bangladais, il faut se référer aux sources publiées par Gavi. Quand elle appréhende le Bangladesh, sa situation est encore critique. Mais déjà sans commune mesure avec celle des débuts. Comme elle l’explique : « En 1979, l’année où le Bangladesh a lancé son programme national de vaccination, 211 enfants sur 1 000 n’atteignaient pas leur cinquième anniversaire. » Une situation liée au contexte déjà évoqué plus haut, mais également à l’extrême pauvreté du pays et à sa structure densitaire. Avec ses 147 570 km², la surface du Bangladesh ne couvre même pas un quart de celle de la France. Il est pourtant le huitième pays le plus peuplé du monde, avec plus de 170 millions d’habitants et une densité de population dix fois supérieure à la nôtre. Il est également un vivier de maladies, allant de la dengue, en passant par les différentes hépatites, le choléra, la fièvre jaune, la méningite, la diphtérie, la coqueluche, et on en passe. Ce qui nécessite, avant de s’y rendre, d’avoir garni son carnet de vaccination. Raison pour laquelle le pays est devenu une terre pilote pour la mise en place d’ambitieux programmes de développement, notamment en matière de piqûres salvatrices.
Selon Gavi : « Moins d’un demi-siècle plus tard, le pays a fait mentir les pronostics. Un enfant né aujourd’hui au Bangladesh peut espérer une vie plus longue et plus sûre : le taux de mortalité des moins de 5 ans est tombé à 31 pour 1 000 naissances vivantes. » Derrière la réussite du programme, une réalité qui lui échappe : la responsabilisation des mères qui ont compris l’importance du vaccin pour préserver la santé de leurs enfants. Mais aussi, selon Be-Nazir Ahmed, ancien directeur du contrôle des maladies au sein de la Direction générale des services de santé (DGHS), « grâce à diverses actions : plaidoyer, communication, mobilisation sociale, engagement des communautés, volonté politique et soutien constant de partenaires comme Gavi ».
Ainsi, dès 2010, la mortalité des enfants de moins de 5 ans a été réduite des deux tiers. Et, en 2018, « la couverture pour la troisième dose du vaccin combiné contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTP3) atteignait 98 %, celle de la rougeole 93 %, et le pays était déclaré exempt de polio depuis 2014 », affirme Be-Nazir Ahmed.
Un succès qui tente maintenant de se reproduire dans les couches les plus vulnérables et les moins accessibles de la population, celles qui nichent dans les bidonvilles, les régions rurales reculées et les territoires les plus ancrés dans les zones inondables. Selon Gavi, d’ici 2030, le pays pourra assumer seul le coût des 160 millions de dollars des programmes vaccinaux liés aux femmes et aux enfants, et se passer de leurs services.
Un miracle qui, comme on l’a déjà suggéré, doit beaucoup à l’amélioration sensible et globale de la situation économique du pays, qui a su engager d’importantes réformes d’infrastructures et de diversification, en dépit de son instabilité politique – voir prolongement. Selon Gavi, l’an prochain, le Bangladesh quittera la liste des nations les moins avancées de l’ONU. Logique. Sur les deux dernières décennies, il a enregistré une croissance moyenne se situant entre 6 et 7 %. Une cascade de bonnes nouvelles, qui va de pair avec l’amélioration globale des conditions de vie de la population. Mais tout cela est fragile, tant le pays est instable politiquement et reste parmi les plus sensibles au changement climatique.