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15 juin 2025

Oracle infaillible ou délire de démiurge transhumaniste ? Non, l’IA n’est qu’un outil, surpuissant mais imparfait — qu’il faut apprendre à manier pour éviter les désillusions. En commençant par formuler des requêtes claires, structurées et précises. Bref, dompter le prompt.

L’intelligence artificielle (IA) est partout : dans nos téléphones, les moteurs de recommandation, les traitements de texte ou les réseaux sociaux. Mais la révolution récente, celle qui change vraiment la donne, c’est le grand modèle linguistique, ou LLM. Imaginez un cerveau artificiel ayant ingurgité des milliards de pages, capable de générer du texte dans toutes les langues, sur tous les sujets. Il ne comprend pas ce qu’il écrit, mais prédit le mot suivant le plus probable dans une phrase. C’est une machine statistique à écriture automatique. À l’arrivée : un générateur de texte fluide, cohérent, souvent bluffant. Il sait synthétiser, reformuler, traduire, résumer… mais avec une compréhension limitée de ce qu’il produit. Et malgré des progrès constants, sa capacité à vérifier ce qu’il avance reste faible — surtout s’il n’est pas connecté à des sources fiables. C’est puissant. Mais parfois à côté de la plaque.

Le côté obscur : hallucinations et biais 

Le bug le plus fascinant des LLM s’appelle l’hallucination : ce moment où le modèle, avec aplomb, invente une loi, une citation ou une étude. Pourquoi ? Parce qu’il ne comprend rien. Il génère des mots selon des probabilités. Parfait pour une tarte aux pommes, plus périlleux pour un arrêt du Conseil d’État de 1995 sur le lancer de nains en discothèque. Ce qui vaut pour le texte vaut tout autant pour l’image.

Les modèles, sauf s’ils ont été spécifiquement entraînés à résoudre la tâche demandée, génèrent ce qui leur semble statistiquement plausible. Une horloge ? Très probablement 10h10. Même s’ils tentent de vous faire plaisir en glissant discrètement un petit 145 au milieu du cadran. Mais là aussi les progrès sont rapides et les humains à six doigts ont déjà (presque) disparu du paysage.

Les modèles peuvent aussi reproduire des biais. Non par intention, mais parce qu’ils sont abreuvés de textes issus du web — articles, forums, réseaux sociaux — qui, même filtrés, véhiculent stéréotypes et partis pris. À cela s’ajoutent des paramètres de fonctionnement qui influencent leurs réponses : la température, qui module leur créativité (et donc leur propension à halluciner), et le prompt système, rédigé par l’opérateur, qui définit le cadre général de leur comportement.

Exemple : celui de l’IA intégrée à WhatsApp précise que le modèle « n’est pas une personne et n’a pas de valeurs, de race, de culture ni d’opinion politique particulière. Il n’aime personne, ne hait personne, et n’offre aucune perspective qui lui soit propre. » Cadrage qui influe évidemment sur les réponses — surtout sur les sujets sensibles. En mars 2025, le cabinet Trickstr a soumis 14 LLM à plus de 41 000 questions issues de sondages politiques. Résultat : tous penchent à gauche. En France, avec une affinité marquée pour EELV.

Quand l’IA sort de sa bulle : la puissance augmentée

Depuis toujours, l’informatique progresse en corrigeant les effets secondaires de ses propres avancées — et l’IA ne fait pas exception. Les LLM, offrent une vision partielle du monde : une photo du web au moment de leur entraînement, parfois datée de plusieurs mois. La qualité varie selon les langues et les contextes. Une IA anglophone aura du mal à saisir les subtilités de l’arabe ou de l’indonésien. Résultat : des données parfois obsolètes, imprécises voire erronées.

Un LLM seul est une encyclopédie statistique, brillante mais périssable. Connecté à des sources fiables via différentes architectures logicielles (RAG, MCP, API – voir glossaire plus bas), il devient capable de croiser ses connaissances internes avec des données actuelles et vérifiables. Et ça change tout.

Ni secrets de famille, ni secrets d’état

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Entretien avec une IA : la logique du “contexte”

Les solutions d’IA basées sur les LLM ne se souviennent que de ce qui se passe dans la session en cours. Ce fil d’échange — appelé contexte — permet au modèle d’interpréter vos demandes à la lumière des messages précédents. Mais dès que vous ouvrez un nouveau chat, le contexte est réinitialisé : tout repart de zéro.

C’est pourquoi, si vous changez complètement de sujet, mieux vaut démarrer une nouvelle conversation. Cela évite au modèle de se mélanger les pinceaux en tentant de rapprocher des demandes qui n’ont rien à voir. Il est par ailleurs utile de rappeler régulièrement à votre LLM qui vous êtes et d’où vous parlez, ce qui lui permettra souvent d’adapter son niveau de réponse.

Nul n’est censé ignorer le LLM

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L’art de poser la bonne question : le Prompt Engineering

Pour toutes ces raisons, savoir prompter est devenu crucial. Un LLM ne lit pas entre les lignes : il exécute. Le prompt engineering est désormais une compétence à part entière : briefer clairement, formuler une demande structurée, ajuster, relancer. Si vous demandez « Parle-moi du climat », vous aurez une soupe tiède. Mais si vous réclamez « une courte synthèse critique sur les arguments scientifiques en faveur de l’origine anthropique du réchauffement climatique, avec sources », le modèle élève tout de suite son niveau de jeu.

Briefez-le comme un humain compétent : indiquez ce que vous attendez, dans quel style, avec quelles contraintes. « Écris-moi un thread X incisif, en dix tweets max, sur le bilan écologique du dernier quinquennat ». Voilà une commande exécutable. Et surtout, affinez. Testez. Relancez. « Fais plus court. », « Rajoute une vanne. », « Cite une source. » C’est l’itération qui fait la qualité et le sur mesure. N’ayez pas peur d’écrire un prompt long. Le LLM reçoit tout l’historique de la conversation à chaque requête, et les modèles connectés peuvent traiter plusieurs milliers de mots. Un bon prompt n’est jamais trop détaillé — à condition d’éviter les instructions contradictoires. Plus vous êtes clair et précis, mieux il répond.

L’arme fatale : prompt simple et implacable contre les hallucinations, par Benjamin Sire

Enfin, osez. Demandez-lui un manifeste sur le néo-libéralisme mangeur de chatons ou d’écrire une tribune d’Annie Ernaux contre l’abus de tribunes. C’est souvent dans l’absurde que l’IA surprend le plus.

L’âge du prompt

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C’est qui le patron ?

Cinq pièges, à éviter absolument, reviennent souvent. 

  1. Croire que l’IA a toujours raison. 
  2. Poser des questions floues (et comme toujours, si c’est flou, il y a un loup). 
  3. Oublier que le contexte ne suit pas d’une session à l’autre, ou au contraire, rester dans le même fil en changeant complètement de sujet — un bon moyen de se retrouver avec une recette de pizza au beau milieu d’un compte rendu de comité de direction. 
  4. Attendre une vérité unique sur un sujet polémique. La mode de l’appel à Grok dans les commentaires de X en dit long : chacun l’interroge pour confirmer son opinion… puis s’étonne qu’il réponde l’inverse dix minutes plus tard.
  5. Et lui déléguer des responsabilités qu’elle n’aura pas à assumer — décision médicale, arbitrage managérial, choix de vie.

Un LLM peut vous aider à repérer une fracture sur une radio, voire, ça s’est vu, à alerter sur un diagnostic manqué, mais reste un générateur de texte, pas un praticien, ni une autorité décisionnelle.

Malgré leurs limites — sans cesse repoussées — les grands modèles de langage offrent au plus grand nombre un accès à la pensée structurée, à la reformulation, et une aide précieuse à la créativité, sans pré requis (autre que cet article). De formidables alliés — à condition d’être bien maîtrisés. À l’heure de l’emoji et du vocabulaire appauvri, ils marquent le retour en force de l’écrit et de la culture générale : structuré, nuancé, précis. Cheh ! Ils peuvent répondre, dialoguer, accompagner — sans juger, sans interrompre, avec une patience infinie. Leur potentiel est immense : éducation, formation, recherche, analyse documentaire, accès à la culture, aide au diagnostic, développement informatique.

L’AGI, un Sphinx numérique aux défis existentiels

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L’IA peut vous faire gagner du temps. Beaucoup de temps. Vous ouvrir de nouvelles portes. Mais gardez votre cerveau en éveil : à la fin, c’est toujours vous qui décidez.

« AI won’t replace humans — but humans with AI will replace humans without AI. »

Karim R. Lakhani

Note : Cet article est issu d’une collaboration entre l’intelligence artificielle et ses auteurs, pour illustrer et appliquer les principes qu’il expose.

Glossaire

🧠 LLM — Large Language Model

Modèle d’intelligence artificielle entraîné à générer du texte, de l’image, de l’audio, du code, etc. à partir de vastes corpus de données, selon une logique probabiliste. La requête de l’utilisateur au LLM est appelée un prompt.

🔁 RAG — Retrieval-Augmented Generation

Technique consistant à fournir au modèle des extraits de documents externes pertinents avant qu’il ne réponde, pour éviter qu’il hallucine des réponses. Il reformule à partir de ces sources et peut facilement les citer.

📊 MCP — Model Context Protocol

Protocole qui permet à une solution d’IA d’accéder à des données actualisées, notamment locales sur le PC de l’utilisateur final, afin de contextualiser ses réponses en temps réel.

🔌 API — Application Programming Interface

Interface technique permettant à la solution d’IA ou autres logiciels de se connecter à une application tierce, sans passer par l’interface web. Par exemple, une IA pourrait commander des billets d’avion pour vous en utilisant l’API d’une compagnie aérienne ou effectuer une recherche google, pour trouver des informations qu’il lui manque.

🎯 AGI — Artificial General Intelligence

Niveau d’intelligence artificielle capable de raisonner de manière autonome, flexible et transversale, comme un humain (ou mieux)