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11 juin 2025

À l’été 2023, l’Europe a connu des températures sans précédent et une série d’événements climatiques meurtriers, causant plusieurs dizaines de milliers de victimes. Une étude récente tente d’en comprendre les origines : des vents anormalement faibles et l’effet inattendu de nouvelles normes environnementales.

Jusqu’alors, l’Atlantique Nord se réchauffait plus lentement que le reste du globe. Mais brutalement, la tendance s’est inversée. Les écosystèmes marins en ont été durement affectés : des milliers de poissons se sont échoués sur les côtes du golfe du Texas, quelques semaines à peine avant que l’Europe ne suffoque.

Une canicule historique

Juillet 2023 est devenu le mois le plus chaud jamais mesuré sur Terre, juste devant… le mois d’août qui a suivi. Septembre a établi un record absolu d’anomalie thermique : +1,82 °C au-dessus des niveaux préindustriels (1850‑1900).

Cette canicule aurait causé près de 48 000 morts en Europe, un continent encore mal préparé à faire face à de telles chaleurs, notamment en raison d’un faible accès à la climatisation. Un chiffre malheureusement plus exact que celui des 48 000 morts de la pollution.

Source : Our world in data

En Grèce, des incendies d’une ampleur inédite ont fait au moins 20 morts. La tempête Daniel a causé des milliers de victimes. Fin juillet, l’Italie a été frappée par des grêlons de 19 cm de diamètre, un record européen.

Des causes multiples, parfois inattendues

Depuis cet été hors normes, les climatologues s’efforcent d’en décrypter les causes. Et entre partisans des différentes hypothèses, les débats ont parfois été vifs. Mais une étude récente publiée dans Nature pourrait mettre tout le monde d’accord.

Principale cause identifiée : des vents exceptionnellement faibles dans l’Atlantique Nord. En été, l’océan est fortement stratifié, avec une couche d’eau chaude en surface reposant sur des eaux plus froides. Or, l’épaisseur de cette couche dépend directement de la force du vent. En temps normal, elle mesure entre 20 et 40 mètres. En 2023, elle n’atteignait que 10 mètres. Moins de vent signifie moins d’échanges thermiques, moins d’embruns, une mer plus calme, une couverture nuageuse plus faible, et donc plus de rayonnement solaire absorbé.

Ce phénomène pourrait avoir été aggravé par le développement d’El Niño, un cycle climatique bien connu pour perturber les vents océaniques. Par ailleurs, le réchauffement climatique affaiblit lui aussi la capacité des vents à mélanger les couches océaniques supérieures.

Un autre facteur, plus inattendu, semble avoir aussi joué un rôle, moindre, mais réel : la forte baisse des émissions de dioxyde de soufre des navires. Depuis 2020, de nouvelles régulations les ont réduites de plus de 80 %. Cela a permis d’assainir l’air, mais aussi… de rendre les nuages moins brillants, et donc moins réfléchissant. Or, l’Atlantique Nord est une des zones les plus fréquentées du globe. Tianle Yuan, physicien de l’atmosphère à la NASA, avait à l’époque parlé d’un véritable « choc pour le système ».

Ce type d’effet fortuit avait déjà été observé pendant le confinement du Covid : la baisse du trafic routier avait entraîné une surprenante hausse de la concentration de méthane dans l’atmosphère.

La mystérieuse augmentation de la concentration de gaz à effet de serre pendant la pandémie

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Quand la géo-ingénierie entre dans le débat climatique

Ironie de l’histoire : relâcher du soufre dans l’atmosphère est précisément l’une des méthodes envisagées dans le cadre de la géo-ingénierie. Peu coûteuse, elle permettrait — en théorie — de faire baisser la température moyenne de 0,1 °C par an, pour un coût inférieur à 5 milliards de dollars. Techniquement simple, cette méthode serait redoutablement efficace… mais aussi extrêmement risquée.

Le soufre entraîne des pluies acides, qui détruisent les forêts, rongent les bâtiments, et provoquent maladies cardiaques, respiratoires, voire cancers. D’autres substances sont à l’étude, comme le carbonate de calcium. Certaines équipes, soutenues entre autres par la fondation Bill Gates, étudient la possibilité d’en disséminer en haute altitude pour réduire l’ensoleillement. Selon certains chercheurs, cela pourrait suffire à diviser par deux l’augmentation de la température mondiale.

Quelles leçons pour demain ?

« Les vagues de chaleur devraient s’aggraver, avec des conséquences dévastatrices sur les écosystèmes marins, et les ouragans devraient s’intensifier », concluent les auteurs de l’étude sur l’été 2023. Face à cela, la tentation de la géo-ingénierie risque de grandir, suscitant des débats qui dépasseront probablement l’analyse rationnelle.

Cet été meurtrier nous rappelle une chose essentielle : toute action, même vertueuse, peut avoir des conséquences inattendues. C’est précisément pour cette raison que le débat climatique ne peut se satisfaire de slogans simplistes et de discours alarmistes. Le catastrophisme peut paralyser l’action ou pousser à des solutions radicales sans consensus. L’urgence ne doit pas tuer la nuance : c’est la compréhension fine des mécanismes climatiques, et non la peur, qui nous aidera à choisir les réponses adaptées.