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7 octobre 2025

Tous irresponsables ? Alors que les tensions internationales s’intensifient, que les finances publiques vacillent et que l’économie s’enlise, les politiques rivalisent d’inconséquence et de postures populistes. Au point que les Français s’habituent au chaos — le plus sûr moyen de ne pas voir venir la chute.

Même si le cirque semble reprendre de manière désespérée jusqu’à mercredi, après le retrait de Bruno Le Maire du casting, l’immédiate chute du gouvernement Lecornu s’imposait comme une évidence. Bien que cette rapidité laisse songeur et témoigne de l’aspect rédhibitoire de la simple idée que l’attelage ait pu exister. Surtout après les deux tentatives improductives de dribbler l’absence de possible, figurées par les passages de Michel Barnier et François Bayrou par la case Matignon. Le fruit d’une majorité parlementaire de plus en plus introuvable, minée par les incohérences internes du bloc central, qui peinent à masquer les divergences idéologiques et stratégiques entre macronistes purs et alliés de droite. Les oppositions, de leur côté, ont systématiquement refusé tout compromis, érigeant des lignes rouges sur des réformes clés comme les retraites, les allocations chômage, la taxe Zucman, ou le gel des prix de l’énergie. Des exigences délibérément impossibles à satisfaire, produites pour forcer un retour aux urnes, soit par une dissolution anticipée, soit par la démission d’Emmanuel Macron lui-même. Cette stratégie de blocage, calculée pour exploiter le vide institutionnel, n’a laissé aucune marge de manœuvre, transformant l’exercice de nomination en un échec prévisible et inévitable. Nous verrons mercredi ce qu’il en sera définitivement, mais, vraisemblablement, la messe est dite et de toute façon, sans Lecornu..

Gabriel Attal l’a bien résumé en qualifiant la séquence « de spectacle affligeant », un jugement partagé par une large part des Français qui assistent, impuissants, à une déliquescence politique accélérée. Un sentiment immédiatement confirmé par un sondage Elabe pour BFM TV, 86% de nos concitoyens estimant avoir assisté à « un spectacle navrant donné par la classe politique qui n’est pas à la hauteur de la situation ». Au-delà du fiasco immédiat, cette crise aggrave la dégradation de l’image de la France sur la scène internationale, où nos partenaires, de Bruxelles à Washington, observent avec inquiétude – ou ironie gourmande – un pays autrefois pilier de l’Europe, désormais enlisé dans l’instabilité. Si cela était encore possible, elle accentue encore la défiance des citoyens envers la politique, perçue comme un théâtre d’egos et de postures, éloignant un peu plus les électeurs des urnes et favorisant l’abstention ou les votes protestataires. Plus grave encore, elle accélère l’ascension des forces populistes, en progression partout sur le continent. Comme nous l’avons encore constaté en Tchéquie ces derniers jours – mais aussi en Géorgie -, après les législatives ayant vu le parti ANO d’Andrej Babiš, populiste et eurosceptique, remporter la victoire avec 35 % des voix et 80 sièges sur 200, reléguant les coalitions pro-européennes au second plan et promettant une réduction de l’aide à l’Ukraine tout en défiant les institutions de l’UE.

France : le corps nu

En France, une dissolution ou la démission du président ne feraient que perpétuer ce cycle, alors que nulle autre solution n’existe pourtant. Le pays est piégé, soit promis au Rassemblement national, par la voie des urnes, soit au chaos souhaité par l’extrême gauche, par celle de la rue. À moins que ne se réalise la fameuse « union des droites », un euphémisme validant la dernière étape de l’effacement des digues déjà branlantes entre la droite républicaine et son versant extrême. Une situation exacerbée par les jeux d’apprentis sorciers inconséquents d’un Emmanuel Macron aperçu seul sur les quais de Paris à la suite de la défection de Sébastien Lecornu.

Cette instabilité interne profite directement aux puissances étrangères qui misent sur la fragilisation de la France et de l’Europe. Les États-Unis, sous une administration de plus en plus isolationniste, nous regardent avec un mépris conquérant, voyant dans notre chaos une opportunité de rééquilibrer les alliances atlantiques à leur avantage exclusif, en imposant des termes plus favorables dans les négociations commerciales ou sécuritaires. Mais c’est surtout la Russie qui tire les marrons du feu. Notre inconséquence politique lui mâche le travail de sa guerre hybride à notre encontre. Depuis janvier 2025, Moscou orchestre une offensive informationnelle massive contre la France, avec des campagnes de désinformation sophistiquées, comme l’a révélé un rapport de Viginum couvrant les six premiers mois de l’année. Ces opérations inondent les réseaux sociaux de faux contenus pour semer la division, discréditer notre soutien à l’Ukraine, et amplifier les narratifs internes de crise pour éroder la cohésion nationale. En fragilisant nous-mêmes Paris, nous offrons à Moscou un levier inespéré en faveur de ses ambitions.

Au cœur de ce grotesque indigne, où seul Sébastien Lecornu a fait preuve de dignité en remettant sa démission sans effusions théâtrales, les conséquences sociales et économiques pèsent comme une menace existentielle. Cette crise de régime s’ancre profondément dans l’incapacité persistante à adopter un budget pour 2025, forçant l’État à opérer sous une loi spéciale prorogeant les crédits de 2024, un palliatif qui paralyse toute action ambitieuse. Les retombées sont immédiates et multiformes : gel des investissements publics dans les infrastructures vitales, comme les réseaux de transport ou les équipements numériques, qui retarde la modernisation du pays ; report des aides sociales aux ménages vulnérables ; blocage des réformes en matière de formation professionnelle, laissant des milliers de travailleurs sans outils pour s’adapter aux mutations du marché du travail ; et une précarité accrue pour les services publics essentiels qui mine la cohésion sociale et alimente un sentiment d’abandon chez les citoyens les plus fragiles.

Les marchés financiers, impitoyables sentinelles de la stabilité, réagissent avec une défiance accrue, entraînant une hausse dramatique des taux d’intérêt sur la dette souveraine. L’OAT à 30 ans culmine à 4,523 % en septembre 2025, son plus haut depuis juin 2009, tandis que les taux à 8 ans ne cessent de grimper voisinant les 4 % en septembre, reflétant une prime de risque qui alourdit la charge annuelle de plusieurs milliards d’euros. Avec une dette publique dépassant les 115,6 % du PIB en septembre – soit 3 416 milliards d’euros –, ce seuil critique expose le pays à des dynamiques spéculatives potentiellement incontrôlables, où chaque point de hausse des taux ajoute des milliards à la facture. Cette vulnérabilité est amplifiée par les dégradations de la note souveraine. Fitch l’a abaissée à A+ le 12 septembre, soulignant notre fragilité budgétaire comme politique, et Moody’s pourrait lui emboîter le pas le 24 octobre, augmentant encore les coûts d’emprunt. Et cela tombe au pire moment, avec de prochaines échéances majeures de remboursement estimées à environ 50 milliards d’euros en obligations arrivant à maturité, à refinancer dans un climat de tension accrue qui pourrait précipiter une spirale vicieuse.

Le secteur privé subit aussi de plein fouet ces turbulences. Les faillites d’entreprises s’enchaînent en cascade, avec plus de 67 000 défaillances sur un an au deuxième trimestre 2025, en hausse de 3,5 % par rapport à 2024 et un pic de 10,6 % pour les PME dans les secteurs du commerce et des services, où la contraction de la demande et les coûts accrus d’emprunt étouffent les marges. L’investissement privé se contracte violemment, alors qu’il est indispensable pour financer la transition vers l’intelligence artificielle et défendre l’innovation, domaines où la France et l’Europe, certes de plus en plus réactifs, accusent encore un retard flagrant face aux géants américains et chinois – avec seulement 109 milliards d’euros mobilisés en février pour tenter de combler le fossé. Cette contraction menace directement l’emploi, avec des centaines de milliers de postes en péril dans les secteurs high-tech, de l’industrie et des services, freinant les embauches et aggravant le chômage au moment où la formation et la reconversion deviennent cruciales.

À l’instant où le monde impose une transformation structurelle profonde – numérisation accélérée des économies, recomposition des chaînes de valeur mondiales face aux tensions géopolitiques, adaptation au changement climatique, renforcement des souverainetés stratégiques en énergie, technologies et défense –, la France choisit le blocage et l’immobilisme politique. C’est une irresponsabilité absolue, qui non seulement hypothèque son avenir immédiat en l’exposant à des chocs financiers et sociaux, mais vole aussi aux générations futures leur droit à une nation compétitive, résiliente et prospère. En persistant dans cette voie, nous risquons, non pas une simple crise passagère, mais un déclin durable. Sans un sursaut collectif pour dépasser les clivages et prioriser l’intérêt national, le désastre ne sera plus une menace, mais une réalité. Et dans ce contexte, le pire danger serait de s’habituer au chaos, de banaliser le désordre pour en faire un contexte de vie ouvrant la porte à tous les déshonneurs, à toutes les solutions inhumaines considérées comme seules issues et regardées avec une froide indifférence… L’histoire a déjà été témoin de ces moments. Avant de pousser l’humanité à s’en excuser tardivement. Toujours trop tardivement…