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Une bombe à retardement visant à assécher l’agriculture française ! Tel est le résultat des amendements délirants qui ont modifié le texte de la loi censée « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », actuellement débattue à l’Assemblée. Objectif caché : interdire toute construction de nouveaux dispositifs de stockage de l’eau.

Le forfait a eu lieu les 6 et 7 mai derniers, tandis que le texte, déjà adopté au Sénat le 18 janvier, passait sous les fourches caudines de l’Assemblée et de sa Commission Développement durable, dirigée par la députée du groupe Ensemble pour la République, Sandrine Le Feur. Tout sauf un hasard, on le verra plus loin. C’est particulièrement l’article 5 de son titre III, « Faciliter la conciliation entre les besoins en eau des activités agricoles et la nécessaire protection de la ressource », qui a été labouré dans les grandes largeurs. Le tout pour arriver à un résultat contredisant strictement la volonté du législateur, en augmentant drastiquement les contraintes imposées aux agriculteurs et en les privant d’eau dans les périodes où elle est déjà la plus rare. Un comble ! La manœuvre est passée quasiment inaperçue dans les médias. Elle aurait pu nous échapper aussi, sans la vigilance de notre consoeur Emmanuelle Ducros (l’Opinion). Pourtant, le texte était très attendu par les agriculteurs, après les promesses qui ont fait suite à leurs récentes manifestations. Or, après son passage en commission, plus question de simplification administrative, mais une batterie de 493 amendements, évidemment non retenus pour la plupart, pour torpiller de manière à peine voilée la possibilité d’installation de retenues d’eau. Une bataille rangée principalement menée par les parlementaires insoumis et écologistes, notamment sous la houlette de Lisa Belluco, Julie Ozenne et Delphine Batho, concernant ces derniers.

Un premier article propose d’interdire le financement public de ces retenues, qui devraient désormais être entièrement prises en charge par les usagers. Le sujet n’est pas tabou, toute question propre à l’allègement des finances publiques et à la responsabilisation de la sphère privée et des citoyens étant légitime. Mais ce n’est qu’un hors-d’œuvre.

L’article suivant monte d’un cran et introduit le plat principal : il impose une étude hydrologique exhaustive, à l’échelle territoriale, réalisée dans les cinq années précédant la mise en place des projets envisagés, incluant une analyse des impacts du changement climatique. Exigeant, dilatoire, mais admissible. En effet, l’efficacité des réserves hydriques dépend du contexte local, comme nous le rappelons dans l’article connexe, « stockage de l’eau, solution ou illusion ? ».

Puis arrive le dessert, pour ne pas dire le coup de grâce  : un moratoire de dix ans interdisant toute nouvelle autorisation de construction de « mégabassines ». Cerise sur le gâteau : le moratoire se veut rétroactif ! Tous les projets validés depuis moins de dix ans, mais pas encore réalisés, seraient instantanément gelés.

L’article est ouvertement militant, employant le terme tendancieux de « mégabassines », sans aucune valeur juridique, plutôt que « retenues d’eau », ainsi que le rappelle Carole Hernandez-Zakine, docteur en droit, spécialisée en droit de l’environnement, citée par Emmanuelle Ducros dans son article pour l’Opinion. 

Bref : rideau. Adieu les projets de stockage d’eau pendant au moins une décennie. Après les toilettes sèches, voici donc venu le temps de l’agriculture sèche ?

Irriguer, c’est mal… sauf en bio ?

Et quid des retenues déjà en service ? On en arrive presque à être soulagés, elles ne seront pas démantelées. Mais leur utilisation devra être conditionnée à un « partage équitable » de la ressource entre agriculteurs. Soit. C’est généralement déjà le cas : les utilisateurs se raccordent au réseau en payant leur part.

Pourtant, ô surprise, dans le même paragraphe, la promesse d’équité s’évapore : l’usage est réservé à l’agriculture biologique ou en conversion. Une exclusivité bio donc, sans que ses bénéfices écologiques ne soient démontrés de manière convaincante. Et là, soudainement, nous revient en mémoire le nom de la présidente de la commission ayant supervisé ce massacre. Sandrine Le Feur. Ne serait-elle pas concernée par cette loi ? Elle qui, ancienne de la Confédération paysanne, pratique le métier d’agricultrice… dans le bio. En plus d’avoir fondé le magasin Elocoop, vendant en circuit court les produits de ses collègues investis dans le même secteur dans son Finistère d’élection. On n’ose imaginer l’idée d’un léger conflit d’intérêt, laissant l’histoire trancher, même si la question a le droit d’être posée. 

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Parce qu’à l’arrivée, les agriculteurs traditionnels ayant financé une retenue pourraient se retrouver face à un choix ubuesque : soit ils se convertissent au bio — un pari risqué, alors que le marché stagne ; soit ils renoncent à l’eau — et s’exposent à des pertes économiques en cas de sécheresse. Et dire qu’il s’agit d’un texte censé « lever les contraintes » sur la profession…

Des effets contre-productifs

Pire, économiquement, cette loi est une impasse. Moins de stockage, c’est plus de pertes et moins de prévisibilité pour les exploitants. Et pour le pays, c’est un moyen de dire adieu à sa souveraineté alimentaire. Ce n’est pas tout. Socialement, c’est aussi un nouveau coup dur pour une profession déjà profondément en crise. Quant à la pertinence écologique de l’ensemble, rien ne permet de la déduire. Moins de production locale signifie souvent plus d’importations depuis des zones où les pratiques agricoles sont potentiellement moins vertueuses. Résultat : on ne réduit pas l’impact, on le délocalise.
Or, le stockage permet précisément de limiter les prélèvements estivaux, quand la ressource est la plus fragile. Le texte évoque bien de confuses « solutions fondées sur la nature » ou la « réduction des volumes prélevés », mais dans les faits, l’irrigation reste indispensable. Sans elle, c’est tout un pan de l’agriculture qui risque de s’effondrer; en plus de rendre hypothétique la diversification vers des cultures plus durables, comme les légumineuses.

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Et maintenant, on fait quoi ?

Il est encore temps de revoir la copie. Plutôt que d’interdire, encadrons intelligemment. Car, indiscutablement, existe la nécessité d’une gestion rigoureuse de l’eau, de la réalisation de solides études d’impact, et de la mise en place d’une gouvernance transparente. Mais un tel texte, si jamais il était voté, ne produirait rien d’autre que de nouvelles difficultés pour les agriculteurs, sans résoudre la question de la gestion hydrique. Si la France veut concilier souveraineté alimentaire, adaptation au changement climatique et protection des milieux, elle doit s’appuyer sur une ingénierie hydrologique maîtrisée, non sur des moratoires idéologiquement mortifères. Plus grave encore. Ces entraves doctrinaires, bien que fondées sur l’honorable prétexte de la préservation des ressources, attisent les fractures déjà béantes entre les citoyens, participent à la délétère polarisation du pays et favorisent des extrêmes n’ayant pas besoin de tels cadeaux pour prospérer. Reste que, bien que pouvant profiter de l’absentéisme parlementaire lors du pont de l’Ascension, durant lequel le projet sera soumis au vote, il y a peu de chance qu’il passe en l’état, tant il est empreint d’une radicalité irrationnelle. Espérons-le !